Le droit de retrait permet aux salariés de se retirer d’une situation dangereuse au travail. Ce droit est essentiel dans le milieu professionnel et particulièrement dans les secteurs d’activités qui comportent des risques importants. Dans ce guide complet, retrouvez les conditions d’exercice du droit de retrait et la réglementation applicable en la matière.
Qu’est-ce que le droit de retrait ?
Mis en place en 1982, le droit de retrait permet au travailleur de se retirer d’une situation de travail qui présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (Article L4131-1 C.Trav.).
L’employeur ne peut pas demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité tant que le danger persiste.
ℹ Notez-le : Chaque travailleur utilise son droit de retrait individuellement. Autrement dit, plusieurs travailleurs peuvent utiliser leur droit de retrait mais ils ne peuvent pas être représentés par un seul individu pour faire valoir leur droit de retrait.
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Dans le cadre de la santé et sécurité au travail (SST), chaque salarié doit prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres travailleurs qui pourraient être affectés par ses actes ou ses omissions au travail (Article L4122-1 C.Trav.).
Concrètement, lorsqu’un salarié constate un danger qui pourrait affecter les autres travailleurs, il doit également avertir l’employeur par l’intermédiaire du droit d’alertepour prévenir tout accident.
🔎 Focus : Le droit de retrait n’est pas une obligation. En effet, il ne peut pas être reproché à un salarié de ne pas avoir utilisé son droit de retrait (Cass, soc, 9 décembre 2003, 02-47.579).
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Il est également important de noter que le droit de retrait doit servir uniquement dans le cadre de la sécurité au travail et ne peut pas être utilisé pour faire valoir des revendications professionnelles telles que des augmentations de salaires, une amélioration des conditions de travail, etc. Une telle utilisation du droit de retrait serait nulle et contre-productive.
En effet, les revendications professionnelles s’inscrivent dans le cadre du dialogue social et relèvent du droit de grève.
Comment exercer son droit de retrait ?
Quelles sont les conditions pour exercer son droit de retrait ?
Un travailleur peut exercer son droit de retrait dans deux situations principales (Article L4131-1 C.Trav.) : lorsqu’il a un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ;lorsqu’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection.
Ainsi, le danger constaté par le travailleur doit être d’une gravité particulière et présenter un risque imminent.
Concrètement, lorsqu’une situation de travail présente un danger grave et imminent de créer un accident ou une maladie professionnelle, le droit d’alerte et de retrait peut alors être exercé par le travailleur.
En outre, n’importe quelle défaillance ou défectuosité dans les systèmes de protection peut justifier l’exercice du droit d’alerte et de retrait.
Exemples : Équipement de protection individuelle ou collective détérioré, inexistant ou hors d’usage, équipement de travail présentant un dysfonctionnement, conditions de travail anormalement dangereuses, environnement de travail dangereux, température basse, etc.
Quelles sont les conséquences de l’utilisation du droit de retrait ?
Le Code du travail prévoit qu’aucune sanction ou aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur qui a exercé son droit de retrait avec un motif raisonnable de juger la situation dangereuse (Article L4131-3 C.Trav.).
Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence du danger pour exercer le droit de retrait.
L’erreur d’estimation de la dangerosité d’une situation n’est pas non plus préjudiciable pour le salarié tant qu’il avait un “motif raisonnable” pour exercer son droit de retrait. Ainsi, un licenciement dans ces conditions est jugé nul et nécessite la réintégration du salarié dans l’entreprise (Cass, soc, 28 janvier 2009, 07-44.556).
Néanmoins, toute utilisation injustifiée, abusive ou à tort du droit de retrait peut s’apparenter à de l’insubordination et expose ainsi les travailleurs à des sanctions disciplinaires ou des retenues de salaire (Cass, crim, 25 novembre 2008, 07-87.650).
Ainsi, l’existence d’un “motif raisonnable” détermine la justification ou non du droit de retrait.
Une utilisation abusive du droit de retrait est généralement caractérisée par une absence de danger préalablement constatée par l’employeur, l’inspection du travail ou un expert extérieur.
Par ailleurs, le droit de retrait n’est pas justifié lorsque des mesures de prévention conformes dudit risque ont été mises en place.
Par ailleurs, en cas de désaccord avec l’employeur sur l’existence du danger, le refus de reprendre le travail justifie un licenciement pour cause réelle et sérieuse voire pour faute (Cass, civ, Chambre sociale, 20 décembre 2017, 16-22.578).
🔎 Focus : En cas de désaccord entre le salarié et l’employeur sur l’existence du danger, l’affaire doit être présentée devant la justice et le tribunal compétent sera en mesure de trancher. L’employeur peut néanmoins appliquer des sanctions avant même d’avoir la décision du juge sur le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait par le salarié (Cass, crim, 25 novembre 2008, 07-87.650).
Voici quelques exemples de jurisprudences dans lesquelles le droit de retrait n’est pas justifié et entraîne des sanctions pour le salarié :
- Un salarié de la RATP exerce son droit de retrait car un de ses collègues machiniste a été agressé sur la même ligne de bus. Des mesures de prévention ont été prises à la suite de cette agression et aucun élément ne laissait supposer que l’incident allait se reproduire. Le droit de retrait est donc injustifié (CA Paris, 21e ch., 26 avril 2001, n° 99/35411) ;
- Exercer son droit de retrait dans un hôpital lors d’une épidémie ou dans une centrale nucléaire ne peut pas justifier un droit de retrait du personnel car ces risques sont inhérents à ces activités et des mesures de prévention sont mises en place pour les éviter (TA Versailles, 2 juin 1994, n° 872364 / CA Versailles, 26 février 1996) ;
- Un salarié exerce son droit de retrait car il estime que le véhicule qu’il devait conduire était dangereux. L’exercice de son droit de retrait est injustifié car le garagiste avait seulement constaté un léger défaut de direction qui ne nécessitait pas de réparation (CA Bourges, 27 mai 2005, n° 04/01285).
Et voici quelques exemples de jurisprudences dans lesquelles le droit de retrait est justifié par la situation dangereuse :
- lors d’un chantier dans un appartement, un travailleur du BTP a exercé son droit de retrait car aucune protection contre les chutes de hauteur n’avait été mise en place (Cass. soc., 9 mai 2000, n° 97-44.234) ;
- un travailleur exerce son droit de retrait car la température des locaux de travail était de 2°C (CA Paris, 22e ch. sect. C, 7 juin 1988) ;
- un travailleur du BTP refuse de conduire un camion de chantier dont les freins sont défectueux (CA Paris, 16 janv. 1992, n° 91/34223) ;
- Un travailleur refuse d’utiliser une machine défectueuse (dysfonctionnement d’un bouton de sécurité) et exerce son droit de retrait (Cass. soc., 11 déc. 1985, n° 83-45.566) ;
- Un chauffeur exerce son droit de retrait en raison du très mauvais état des pneus de son véhicule (CA Poitier, 25 juillet 1996 n° 2100/95) ;
- Un chauffeur de bus exerce son droit de retrait car le véhicule qu’il doit conduire a une direction trop dure. Or, le médecin du travail avait spécifiquement précisé au chauffeur qu’il pouvait uniquement conduire des véhicules avec une direction souple en raison d’un accident professionnel (Cass, soc 10 mai 2001, 00-43.437).
Quelle est la procédure pour exercer son droit de retrait ?
Le Code du travail ne prévoit pas de procédure spécifique pour l’exercice du droit de retrait.
Ainsi, un travailleur est en droit d’arrêter son travail et de se retirer d’une situation qu’il estime dangereuse sans avoir à demander l’autorisation préalable à son l’employeur (Article L4131-1 C.Trav.).
Le droit de retrait n’exempte pas de l’obligation de travailler pour respecter son contrat de travail. Ainsi, le travailleur qui a utilisé son droit de retrait doit rester à la disposition de l’employeur et peut être affecté à un autre poste en attendant la résolution du danger.
🔎 Focus : Le simple fait de refuser de travailler suffit à faire valoir son droit de retrait (Cass, civ, chambre soc, 2 mars 2010, 08-45.086).
Cependant, les travailleurs doivent exercer leur droit de retrait sans créer une nouvelle situation de danger grave et imminent pour autrui (Article L4132-1 C.Trav.).
Cela peut notamment être le cas si un salarié exerce son droit de retrait sans éteindre un équipement de travail dangereux ou au contraire s’il éteint des équipements de travail nécessaires à la protection collective.
Il ne s’agit donc pas de quitter simplement son poste de travail sans prendre en considération les conséquences de ce retrait.
Par ailleurs, même si ce n’est pas une obligation, il convient néanmoins de prévenir verbalement ou par écrit l’employeur de l’exercice de son droit de retrait en précisant la date, l’heure, le poste concerné et le danger constaté ou la raison du retrait.
ℹ Notez-le : Le règlement intérieur de l’entreprise ne peut pas imposer au salarié de rédiger son droit de retrait par écrit, néanmoins, le salarié à tout intérêt de garder une trace écrite des événements en cas de litige futur (Cass, soc, 28 mai 2008, 07-15.744).
Enfin, il est possible, voire préférable pour les travailleurs de prévenir un membre du comité social et économique (CSE) de l’existence du danger et de l’exercice du droit de retrait (Article L4131-2 C.Trav.).
En effet, comme nous allons le voir plus en détail par la suite, les membres du CSE constituent un relais entre les salariés et l’employeur et disposent d’une position idéale pour exercer le droit d’alerte.
📃 Documentation : Pour plus d’informations, n’hésitez pas à consulter la documentation de l’institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur le droit de retrait.
Quelles sont les obligations de l’employeur face au droit de retrait ?
L’employeur qui a connaissance d’un danger par l’intermédiaire d’un salarié ou d’un membre du CSE doit immédiatement aller constater le danger signalé.
Lorsque le danger grave et imminent s’avère réel, l’employeur doit prendre les mesures et donner les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail (Article L4132-5 C.Trav.).
Les mesures et instructions données par l’employeur doivent être adaptées au danger rencontré et doivent s’appliquer à tous les salariés de l’entreprise si nécessaire.
À l’inverse, lorsque l’employeur estime qu’il n’existe pas de danger grave et imminent, que les mesures de prévention contre ce risque sont suffisantes ou que le problème est résolu, les salariés doivent reprendre le travail.
Néanmoins,l’employeur doit être très vigilant face aux dangers rencontrés dans le cadre du droit d’alerte et droit de retrait. En effet, lorsqu’un accident survient à cause d’un danger qui avait été signalé par un travailleur ou un membre du CSE, la faute inexcusable de l’employeur est reconnue de droit (Article L4131-4 C.Trav.).
Pour rappel, la faute inexcusable de l’employeur engage sa responsabilité civile et il doit ainsi payer des indemnités supplémentaires à la victime.
La responsabilité pénale de l’employeur peut également être engagée dans ces conditions, ce qui l’exposerait à des sanctions pouvant aller jusqu’à 75 000 euros d’amende et 5 ans de prison (Article 221-6 C.pén.).
Que doit faire l’employeur en cas d’exercice du droit d’alerte par le CSE ?
Tous les CSE sont en mesure d’exercer leur droit d’alerte (Article L2312-60 C.Trav.). Ce droit d’alerte oblige l’employeur à effectuer certaines actions supplémentaires.
Ainsi, lorsque l’alerte est donnée par un membre élu à la délégation du personnel du CSE, une enquête doit être réalisée par l’employeur avec le représentant du CSE qui lui a signalé le danger (Article L4132-2 C.Trav.).
ℹ Notez-le : L’alerte doit être inscrite dans un registre spécifique appelé “registre des dangers graves et imminents” (Article D4132-1 C.Trav.).
Lorsque l’employeur et le CSE ne sont pas d’accord sur l’existence du danger ou sur les solutions qui lui sont apportées, le CSE doit être réuni dans un délai de 24h afin de trouver un accord (Article L4132-3 C.Trav.). L’employeur doit notamment prévenir l’inspection du travail.
Enfin, à la suite de cette réunion et en cas de désaccord avec la majorité du CSE, l’inspection du travail doit être saisie (Article L4132-4 C.Trav.).
Toutes ces dispositions sont propres au droit d’alerte exercé par le CSE. D’où l’importance pour un salarié de prévenir le CSE en cas d’exercice de son droit de retrait et droit d’alerte.
Comment l’employeur peut-il prévenir les situations de retrait ?
La meilleure manière de prévenir l’exercice du droit de retrait par un travailleur consiste à mettre en place une démarche de prévention des risques professionnels efficace dans l’entreprise.
Rappelons, en effet, que l’employeur doit prendre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (Article L4121-1 C.Trav.).
Ainsi, il doit établir une démarche de prévention qui s’appuie sur les principes généraux de prévention des risques professionnels (Article L4121-2 C.Trav.). Cette démarche passe notamment par l’évaluation des risques et la mise en place de mesures adaptées.
🔎 Focus : L’évaluation des risques doit être inscrite dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (Article L4121-3-1 C.trav.).
Par ailleurs, dans le cadre de la démarche de prévention des risques, tous les travailleurs doivent avoir reçu une formation à la sécurité qui traite notamment (Article L4141-2 C.Trav.) :
- des conditions de circulation dans l’entreprise ;
- des conditions d’exécution du travail ;
- de la conduite à tenir en cas d’accident ou de sinistre.
⚠️ Attention : L’agent de contrôle de l’inspection du travail est en mesure de dresser immédiatement un procès-verbal, sans mise en demeure préalable lorsqu’il constate un danger grave ou imminent pour la santé des travailleurs (Article L4721-5 C.Trav.).
Droit de retrait : ce qu’il faut retenir
- Chaque salarié peut exercer son droit de retrait lorsqu’il a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent ;
- Le CSE peut être d’une aide précieuse pour accompagner les travailleurs dans l’exercice de leur droit de retrait et pour avertir l’employeur du danger ;
- La mise en œuvre d’une démarche efficace de prévention des risques constitue la meilleure manière pour l’employeur de prévenir une situation de retrait ;
- La consultation d’experts et de professionnels juridiques peut aider l’employeur à gérer une situation de retrait de façon sereine et conforme à la réglementation.