Nous vivons depuis le premier confinement une mutation sans précédent de l’activité professionnelle. C’en est également une pour la santé mentale des Français. Depuis mars dernier, la Covid-19 a profondément changé notre environnement et nos méthodes de travail au quotidien. Nos entreprises ont dû s’adapter aux nouvelles règlementations et de nouvelles questions organisationnelles se sont posées, mais qu’en est-il du facteur humain ?
Le télétravail était utilisé auparavant dans une moindre mesure. Cependant, sa mise en place de façon massive et brutale dans les entreprises s’est parfois faite au détriment du bien-être des salariés.
Dépression, burn-out, bore-out : ils sont le résultat d’une aggravation des pathologies qui ont de fortes conséquences sur leur santé mentale.
La crise sanitaire est-elle à l’origine de nouveaux Risques Psychosociaux ?
La crise sanitaire, ne semble pas tant avoir créé de nouveaux risques psychosociaux qu’en avoir amplifiés certains (isolement, solitude, dépression…).
On constate que la souffrance au travail est liée à une perte de sens professionnel, social et familial. Craindre une perte d’emploi en raison des difficultés économiques actuelles. Le manque de perspectives, ou des perspectives plus angoissantes que rassurantes, impactent la santé mentale des salariés.
On remarque également un profond sentiment d’isolement lié au travail à distance. Le manque d’interaction sociale pèse sur le moral du salarié. Par le télétravail, celui-ci peut se sentir moins impliqué. De ce fait, son sentiment d’appartenance à l’entreprise diminue. Une fatigue généralisée est également observée depuis, qui va de pair avec une lassitude générale de la situation.
Concilier travail et vie personnelle peut également être complexe. La perte de repères entre le lieu de vie et le lieu de travail, qui se confondent, ne marque pas de rupture concrète. Le droit à la déconnexion est devenu plus difficile.
Les nouvelles conditions de travail liées à la crise sanitaire sont-elles sources de risques psychosociaux (RPS) ?
Il existe 7 familles de RPS qui peuvent déstabiliser le salarié :
- L’intensité et la complexité du travail
- Le temps de travail
- Les exigences émotionnelles
- L’autonomie
- Les rapports sociaux au travail
- Les conflits de valeur
- L’insécurité de la situation au travail
La mise en place brutale du télétravail a créé une rupture dans l’organisation des entreprises et a favorisé l’emergence de RPS. En cause, un espace de travail non adapté et un manque d’interaction sociale conduisant à l’isolement du salarié.
Un espace de travail non adapté
En imposant un espace de travail potentiellement non adapté, le télétravail renforce les inégalités en fonction du niveau de vie et crée une nouvelle fracture qu’un espace de travail commun permettait de limiter.
Il y a en effet une corrélation entre la surface d’un appartement et la probabilité pour un salarié d’être en détresse psychologique.
Quand certains peuvent profiter d’un bureau dans une pièce calme, d’autres doivent s’installer dans une pièce bruyante, mal aérée, mal éclairée qui leur sert également de cuisine et de chambre.
Lors du premier confinement, 60 % des salariés confinés dans moins de 40 mètres carrés étaient en détresse psychologique contre 25 % (+35 points par rapport à ceux qui étaient confinés dans plus de 40 mètres carrés)¹.
Le sentiment d’isolement
Mais le confort du lieu de travail n’est pas le seul aspect détériorant les conditions de travail du salarié puisque 41 % des salariés en télétravail se sentent isolés².
En présentiel, la journée est rythmée par le travail mais aussi par les rencontres fortuites entre collègues qui déterminent le déroulement de la journée en donnant l’occasion d’une pause-café, d’un départ pour déjeuner ou bien d’une simple discussion.
Le manque d’interactions spontanées avec ses collègues contribue à créer l’isolement du télétravailleur qui doit s’habituer à un nouveau rythme détaché du rythme de l’entreprise.
Il est pourtant possible de réduire cet isolement en préparant des rencontres hebdomadaires non professionnelles par visioconférence par exemple, ou en éduquant sur l’usage de certains outils de communication digitale tels que les messageries instantanées.
La relation à distance reste, toutefois, et ce malgré les « prothèses » digitales, une réduction du lien social entre les individus, constat évident, notamment quand on sait qu’une grande partie de la communication interpersonnelle n’est pas verbale.
Les modes de communication à distance renforcent donc cet isolement en n’offrant pas la même chaleur, ni la même euphorie au sein d’un groupe.
Ces causes peuvent provoquer à long terme des effets délétères pour certaines personnes qui ne parviennent plus à rythmer leur journée, certains ne prennent plus de pause, ont des horaires décalés et 50 % des salariés auraient du mal à oublier le travail en fin de journée².
Le vécu du télétravail varie d’un individu à un autre, certains apprécient davantage que d’autres. Mais au-delà du vécu subjectif, il y a des conditions matérielles qui améliorent ou détériorent l’expérience du télétravail.
En tant qu’élu de CSE vous devez déceler les risques professionnels.
Certains se sentent bien en télétravail car les conditions sont réunies pour qu’il se passe bien : une bonne connexion internet, une salle calme, lumineuse, aérée, un usage maitrisé des outils de communication à distance pour garder un lien…
Aussi, le constat concernant le télétravail est contrasté. S’il est une amélioration des conditions de travail, il est aussi une détérioration pour d’autres. Mais cette détérioration ne semble pas tant causée par le télétravail en soi que par sa mise en place particulière dans ce contexte de crise sanitaire.
Le télétravail est-il majoritairement souhaité ?
La possibilité de faire du télétravail est souhaitée par une majorité de salariés (60 %)².
Mais ce chiffre ne doit pas être sur-interprété.
Premièrement, avoir la possibilité de faire du télétravail n’équivaut pas à souhaiter faire du télétravail à temps complet ou même partiel, cela signifie que les salariés sondés sont 60 % à vouloir pouvoir bénéficier du télétravail.
Deuxièmement, si les 40 % des salariés qui ne souhaitent pas avoir la possibilité de recourir au télétravail ne constituent pas une majorité, cela reste une partie importante de la population.
92 % des télétravailleurs souhaitent pouvoir continuer à télétravailler.
Ce chiffre baisse à 69 % chez les télétravailleurs en « full remote » qui sont 34 % à « saturer » du télétravail².
Le télétravail est donc bien souhaité par une majorité de salariés malgré les risques psychosociaux qu’il semble favoriser puisque les télétravailleurs sont plus susceptibles d’être en détresse psychologique que les autres.
Le contexte sanitaire n’y est pas pour rien, étant en lui-même anxiogène. De plus, le télétravail imposé et généralisé ne permet pas une mise en place raisonnée et adaptée à chacun, d’où ce phénomène d’aggravation en particulier chez les personnes où le télétravail est difficile (femmes et hommes qui ont à charge des enfants, jeunes adultes vivant dans des logements de moins de 20 mètres carré avec des bâtiments mal insonorisés…).
Si le télétravail est globalement souhaité par les salariés, c’est sa mise en place sauvage dans un contexte anxiogène qui le rend délétère à certains.
Face à ce constat, les CSE ont une carte à jouer pour faire évoluer le droit au télétravail tout en veillant à ce que sa mise en place ne soit pas à l’origine de risques psychosociaux (RPS).
Le rôle de l’élu prend donc une place importante dans l’évolution de la santé mentale de ses salariés, il se doit d’écouter leurs ressentis et leurs préoccupations, et tenter de repérer une personne en souffrance. Pour se faire il y a plusieurs signaux qui permettent de déceler quelqu’un dans ce cas :
- Physiques : Tonalité de voix, respiration (téléphone), amaigrissement/prise de poids, fatigue, troubles du sommeil, maux de tête, Eczéma, problèmes digestifs, mal de dos …
- Mentaux : Perte de concentration, trouble de la mémoire, erreurs inhabituelles, difficulté à décider …
- Émotionnels : Hyper sensibilité, agressivité, colère, crise d’angoisse, perte de plaisir, tristesse …
- Comportementaux : Isolement, ne communique plus, communication écrite, médicaments, addictions, changement de vie, plaintes répétitives, cynisme, absentéisme, négligence, habillement …
Ce sont des éléments qui faciliteront les élus à détecter des signes de mal-être chez les collaborateurs.
La question du télétravail durant cette crise sanitaire est une dimension importante de la mission Santé Sécurité et Conditions de Travail (SSCT) du CSE dont l’objectif est notamment de lutter contre les risques professionnels de toutes sortes.
Quelques idées pour les CSE
Écouter les salariés (sondages, enquêtes, entretiens individuels, cafés virtuels…)
- Se mettre à l’écoute des salariés en organisant des sondages, enquêtes permettant d’obtenir le pouls ou l’humeur d’un groupe.
- Proposer des entretiens individuels avec tous les salariés qui le souhaitent est une manière encore plus efficace de se rapprocher de vos salariés et de déceler chez eux les signes précurseurs de risques psychosociaux.
- Organiser un café virtuel pour échanger en dehors du cadre professionnel.
Vous pouvez prendre des notes et recueillir des informations qui vous permettront de déceler les risques psychosociaux pour, si cela est nécessaire, faire le relais vers un professionnel de santé.
Sources :
¹Consulter l’étude : Baromètre T1 Empreinte Humaine OpinionWay
²Consulter l’étude : Baromètre T4 Empreinte Humaine OpinionWay